Guy Ros entame avec cet ouvrage le 3e tome d'une trilogie qu'il a consacré au cinéma américain qui a débuté en 1986 avec "La Fonction du cinéma occidentale", et "le Guide du cinéma américain" en 2001. Cet ouvrage historique analyse comment Hollywood victime de l'influence de la télévision et de ses erreurs stratégique va se retrouver dans une situation catastrophique qui va voir ses principaux studios démantelés.
A la fin des années 70, une nouvelle génération de cinéastes amoureux d'épopées (Eastwood, Scorsese, Lucas, Spielberg, Copolla) va renouer avec les racines mythologiques de ce cinéma pionnier et régénérer une production poussive. Cette génération va ouvrir la voix aux auteurs qui aujourd'hui dynamitent la création Hollywoodienne comme Tarentino ou Robert Rodriguez.
Ce livre analyse sans prendre partie et conte l'histoire d'une renaissance.
Voici le portrait consacré à Clint Eastwood dans le livre.
Clint Eastwood : le dernier des géants
Clint Eastwood a réussi avec "Impitoyable", son
dernier western (1992), un film dépouillé, nostalgique, méditatif, qui boucle
un cycle de films axés sur l'individualisme taciturne dans lesquels le héros
(le cavalier solitaire), mu par des forces mystérieuses, façonne son destin
avec un détachement cynique et violent. Clint Eastwood est vraiment la dernière
légende d'Hollywood, le cinéaste qui est le mieux parvenu à concilier ses
exigences artistiques avec les impératifs commerciaux du studio qui a produit
tous ses films : la Warner Bros. L'ancienne tête de turc des critiques
politisés des années 70 est devenu le cinéaste américain le plus adulé des
années 2000. Curieux !
En réalité Eastwood n'est ni le plus grand génie du monde,
ni le pire des fascistes. Il est juste un homme qui aime à parcourir les mythes de l'Ouest à sa façon, à
la fois violente et méditative. Eastwood est le dernier rescapé d'une époque
héroïque : celles des pionniers du 7ème art comme Ford, Huston, Walsh. Il a
lancé avec "Impitoyable" sa dernière charge héroïque. Place
maintenant au western moderne qui sera sûrement violent et pro-indien.
Dans "Impitoyable", Eastwood interprète le rôle de
William Munny, un tueur légendaire qui a renoncé à la violence par amour pour sa femme. Désireux
d'oublier sa glorieuse réputation, la nécessité va l'obliger à renouer avec un
passé qu'il croyait révolu. Ce dernier film amer et méditatif d'Eastwood est
son oeuvre la plus dépouillée et son testament westernien. Eastwood montre la
peur comme on ne l'a jamais vue, nous dit que tuer c'est dégueulasse et
difficile, et que les héros sont fatigués.
Pourtant, Eastwood demeure le type même du miracle à
l'américaine. Figurant dans des sous-westerns, acteur dans des films de série Z
comme "La créature du lac noir" ou "Tarentula", Eastwood
passe ensuite cinq années à convoyer des troupeaux de vaches dans le célèbre
feuilleton "Rawhide". Un peut las de jouer du lasso, Clint stoppe sa
carrière de "vacher" pour aller tourner un petit western en Europe
avec un metteur en scène complètement inconnu : Sergio Leone. "Pour une
poignée de dollars", tourné avec un budget ridicule, va connaître un
succès international propulsant Eastwood au rang de star internationale.
Eastwood va alors enchaîner les succès avec une régularité
de métronome : "Et pour quelques dollars de plus", "Le bon, la brute
et le truand", "Pendez-les haut et court", "Sierra
torride" et en 1971, le rôle qui allait lui coller à la peau pendant toute
sa carrière "L'inspecteur Harry" de Donald Siegel qui allait
connaître quatre suites. Après un tel parcours, bon nombre de stars se seraient
contentées d'enchaîner les films d'action pour maintenir leur rang au box
office (voir Charles Bronson et ses multiples suites au "Justicier dans la
ville"). Mais Eastwood avait des ambitions cachées : il voulait devenir un
grand cinéaste.
Un frisson dans la nuit
Eastwood va alors réaliser un premier film très brillant,
"Un frisson dans la nuit", qui ne connaîtra aucun succès. Petit
thriller absolument maîtrisé sur une histoire d'amour qui tourne au cauchemar.
Puis après cet hommage au maître Hitchcock, Eastwood va alors révéler sa vraie
nature de cinéaste masochiste et métaphysique avec "L'homme des hautes
plaines" 1973 qui va lui valoir les honneurs de la presse. Eastwood va
être traîné dans la boue, conspué par des critiques engagés qui prirent le film
comme une gigantesque provocation politique. (C'était l'époque ou n'importe
quel film politique italien ou polonais obtenait la Palme d'Or à Cannes, s'il
parlait de lutte des classes). Tous les quolibets à la mode pendant cette
période fusèrent à propos de ce film pourtant merveilleux : fasciste,
réactionnaire, violent, sanglant, primaire. Eastwood, cinéaste crépusculaire
revisitant le mythe de l'ange exterminateur, devra attendre dix ans pour enfin
mériter les louanges de ceux qui l'avaient assassiné 12 ans auparavant.
Personne ne remarqua en 1976 "Josey Wales le hors la
loi", splendide épopée (typiquement Fordienne) contant la lutte sans
merci, que le dernier résistant de l'armée sudiste mène contre les pillards du
nord. C'est un film légendaire par le traitement de l'image, la justesse de ses
émotions et surtout la fluidité de son rythme.
1980 sera l'année décisive pour Eastwood cinéaste, car il
connaîtra avec "Bronco Billy" son plus bel échec public et son plus
grand succès critique. "Honkytonkman" confirme (si besoin en était)
que le grand Eastwood était un auteur exigeant qui possédait de grandes
ambitions artistiques. La boucle était bouclée. Il pouvait dorénavant alterner
les films d'action comme "Firefox", "Sudden impact" ou
"ça va cogner" pour rassurer ses fans et son producteur, afin de
pouvoir réaliser juste après un film d'auteur exigeant et brillant comme
"Pale rider" ou "Bird".
En 1984, Eastwood réincarne l'ange exterminateur qui vient
se venger de ses assassins dans "Pale rider" qui annonce déjà par son
style épuré et extatique "Impitoyable". Eastwood est
incontestablement encore influencé par Leone dans ce film, mais possède des
qualités de conteur et de moraliste que n'a jamais eu le cinéaste italien.
Rarement un film aura autant incarné la peur engendré par l'au-delà dans la mémoire populaire. Eastwood marche
avec détachement et impassibilité dans ce village fantôme où il va affronter
ses anciens meurtriers, avant de dévoiler son vrai visage au Shérif diabolique
: celui de la mort. Eastwood est un cinéaste pour lequel la métaphysique
possède un visage. C'est un des derniers auteurs qui aborde avec autant de
talent le thème du Mal. Les éclairages à la bougie, les clairs obscurs, les
regards méphitiques, tout jaillit de cette œuvre somptueuse qui hélas n'obtiendra
aucune récompense à Cannes.
Auteur sacré
Alors, Eastwood auteur "sacré" ? Incontestablement
à la vision de "Bird" avec Forest Whitacker qui décrit en 1988 le
long chemin de croix de Charly Parker. Ce film épuré et lent demeure le joyau
d'une filmographie exigeante et éclectique qui de "Brizzy" à
l'admirable "Impitoyable" possède comme leitmotiv : le sacré.
Avec "Impitoyable", Eastwood a signé le chant du
cygne du cow-boy solitaire au cigarillo éternellement planté dans la bouche,
qu'il a incarné pendant 30 ans. "Impitoyable" marque peut-être la fin
des westerns crépusculaires qui avaient trouvé leur apogée avec "La horde
sauvage" et tous les films où Eastwood a laissé sa marque de fabrique. Il
a tout dit sur le western, il va sûrement passer maintenant à d'autres genres.
Il est vrai que notre héros a 84 ans. L'âge de raison.
Eastwood surprend à nouveau en 1995 avec une histoire
d'amour entre une fermière et un photographe " Sur la route de Madison
". Ce film magnifique à la Douglas Sirk surprend par sa sensibilité, son
style épuré et la justesse de son approche sentimentale. L'ange exterminateur
peut aussi jouer les amants romantiques et offrir quelques heures de bonheur à
une fermière résignée. Là encore Eastwood surprend et étonne en nous amenant à
180 degrés de son univers habituel. Etonnant.
« Million dollars Baby » en 2002 nous plonge dans
l’univers de la boxe féminine dans un classique du genre (la fille obstinée qui
parvient aux sommets grâce à un entraineur revêche au grand coeur) puis à
mi-parcours le film va brutalement plonger dans le mélodrame sans prévenir et
nous donner un final totalement inattendu où Eastwood va faire preuve d’une
pudeur et d’une sincérité dramatique qui laisse admiratif.
Il nous surprend encore avec "Gran Torino"
En 2008 Eastwood surprend encore avec « Gran Torino » un petit film sans star sur les difficultés d’intégration des minorités asiatiques dans les banlieux populaires de Los Angeles. Eastwood incarne un retraité veuf, grossier, raciste, misanthrope qui va sacrifier sa vie pour sauver une famille asiatique de la pègre. Le Maître touche au sublime dans cette fable à contre-courant, sobre, épurée, tendre à l’extrême. Ce film épuré possède pourtant une force que l’on n’avait jamais perçue dans son cinéma. Ses personnages sont fouillés et incroyablement touchants et l’intrigue belle comme un conte. Eastwood touche au but avec « Gran torino » qui est son plus beau film. Et pourtant l’homme est modeste, dans une interview à l’Express il résume de façon humoristique son style : « J'aime travailler vite, c'est vrai. Don Siegel avait l'habitude de dire à ceux qui filmaient une scène sous un tas d'angles différents que n'importe qui pouvait se proclamer réalisateur. Il avait raison. Je déteste filmer des plans dont je ne me servirai pas au montage. Ça va à l'encontre de mes principes. J'aime aussi la spontanéité et, à trop répéter, on finit par perdre le rythme. Je préfère les erreurs, les maladresses, tout ce qui donne l'impression de vérité, de vie réelle. Les dialogues n'ont pas besoin d'être parfaits. Les gens ne s'expriment jamais de manière impeccable. Ils bafouillent et ils cherchent leurs mots. C'est ce que je veux obtenir avec mes acteurs. Gene Hackman, Morgan Freeman, Malkovich n'ont jamais peur, eux, de tâtonner parce qu'ils ont confiance en eux. »
Eastwood demeure un cinéaste doué et classique, un démiurge
qui n'a pas l'exigence artistique d'un Cimino ou la folie géniale d'un
Spielberg, il demeure le plus grand westernien des années 80/90, ses westerns
demeurent les joyaux de sa filmographie. Ils scintillent au firmament des
grands créateurs que sont Ford ou Walsh. Son cinéma éclectique et brillant
fascine par sa rigueur. Estwood ne rate jamais de film. Spielberg l'a fait,
Boorman aussi. C'est un cinéaste exigeant rapide, filmant vite, possédant une
parfaite maîtrise de son style. L'homme au cigarillo va encore nous surprendre
par ses choix, comme il l'avait fait en 1993 en offrant à Costner un contre
emploi magnifique dans un " Monde parfait ", road movie où un évadé
va kidnapper un enfant pour fuir. Les rapports entre Costner et l'enfant sont
incroyablement décris, avec une sensibilité qui annonce " La route de
Madison ". Eastwood possède une sensibilité artistique étonnante qu'il met
au service d'un art exigeant, souvent viril et machiste, mais qui ne dérape
jamais dans la facilité.
L'auteur
Guy Ros est Docteur en sciences politiques, cinéphile et passionné
d’art précolombien. Il est auteur d’une thèse de doctorat puis de
50 ans de cinéma américain, préfacé par Henri
Agel (2014). Rédacteur en chef, puis Directeur de publication de magazines
pour les lycéens et étudiants pendant dix-huit ans ; il lance en 1997
une collection de livres universitaires et d’essais, Transfac éditions.
Il sera ensuite en charge des filiales presse, web et édition du groupe
L’Express-l’Etudiant.
Depuis 2005, il a réorienté sa carrière vers l’événementiel.
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